jeudi 3 septembre 2015

Dossier été; Montréal, capitale gastronomique?

Photo: MTL à table, Facebook




















Tantôt nous pouvons être inspirés créativement dans un sens plus esthétique ou artistique, tantôt plus dans un sens plus rationnel. Il est intéressant de constater que la gastronomie et les arts de la table peuvent faire l’objet de pensées liées aux arts, on a qu’à penser aux processus créatifs dont les chefs se servent pour inventer de nouveaux plats. Ne nous arrêtons pas là. Le domaine gastronomique recèle des sujets si variés et parfois peu étudiés, que de nouvelles facettes se découvrent constamment. Bien-sûr, manger est besoin essentiel et l’alimentation a un sens profond chez chaque être humain. Toute culture détient ses façons de faire et de percevoir, a ses représentations de l’alimentation. En cette ère de mondialisation, les barrières culturelles s’effacent graduellement et cela permet des échanges riches entre nations. Les différentes facettes socioculturelles, économiques, historiques et bien plus sont alors mises en valeur.

Nous pouvons sur cette mer d’informations aborder des enjeux de la gastronomie et ainsi élaborer de nouvelles façons de réfléchir la gastronomie. Celle-ci ne se réduit pas qu’à l’alimentation, la préparation de nourriture et de ce qui se trouve dans ces eaux là. En effet, la beauté de la gastronomie réside dans le fait qu’elle implique une multitude de disciplines, portant autant sur des réflexions artistiques que rationnelles. Voyons ce que peut être un tel enjeu.

De prime abord, qu’est-ce que ce grand titre? Montréal, capitale gastronomique. Est-il pompeux en quelque sorte ou encore est-il riche de sens? Une multitude de questions se posent à première impression devant pareil titre édifiant la Ville aux cent clochers. Il s’agit d’autant de questions qu’il vaut la peine d’approfondir. Sur ce, basons-nous sur le livre Voyages en gastronomies : L’invention des capitales et des régions gourmandes, collectif de textes dirigé par Julia Csergo et Jean-Pierre Lemasson. Cela dit, il s’agit d’un excellent livre des plus intéressants pour en apprendre sur différents sujets historiques et socioculturels de la gastronomie. Il a été rédigé en collaboration par des chercheurs de renommée internationale, étant le fruit de recherches captivantes.

En quoi constitue une capitale gastronomique?

Soyons souples ici. Contentons-nous de brosser sommairement et approximativement le portrait d’une définition somme toute satisfaisante. Une capitale gastronomique consiste en une ville renommée touristiquement pour ses bonnes tables passant par de bons produits. Pouvant être issues du terroir, ces tables sont composées par des travailleurs chevronnés des métiers de bouche, le tout dans une culture de la bonne chère est généralement partagée par ses habitants. Tout cela, dans son renom, doit rayonner à l’étranger pour permettre une notoriété à la ville en question. Probablement la ville la plus connue de toutes à ce titre est Lyon. Ville des célèbres bouchons, héritage de la cuisine des Mères, et de Paul Bocuse, lui-même ayant été apprenti de la Mère Brazier (première triple étoilée au guide Michelin en 1933). Lyon en France est sans doute l’emblème de cette notion. Elle est inscrite au patrimoine culturel de L’UNESCO pour sa gastronomie.

D’autre part, voyons plus en détail comment Montréal se qualifie dans sa place de capitale gastronomique. Ce texte n’a pas la prétention d’être exhaustif en la matière. Quitte à être un peu anecdotique dans les faits. Il s’agit ici d’humblement tracer les grandes lignes du tableau afin d’arriver à mieux comprendre le présent enjeu.


SAVOIR-ÊTRE

C’est simple. Pour retrouver une prétendante au titre de capitale gourmande, encore faut-il que dans celle-ci l’intérêt pour la gastronomie existe. À la base, une culture alimentaire riche et propice doit animer le tissu social. On n’implante certainement pas un restaurant faisant de la haute voltige culinaire en plein désert alimentaire. C’est plus que de l’avant-garde, c’est du suicide commercial. L’intensité de l’intérêt en la matière au niveau socioculturel signifie un point de départ capital. Plusieurs façons de reconnaître cela s’offre à nous.

La volonté et la possibilité de bien manger peut constituer un indice de premier ordre. Regardons Montréal sous cet angle. En habitant l’Île ou en interrogeant ses habitants, on se rend compte à quel point les gens sont de plus en plus soucieux de leur alimentation et désireux de faire des expérimentations culinaires. La plupart des épiceries rendent cela possible grâce à leur offre de fruits et légumes, de produits sains, frais et dans une diversité permettant de cuisiner des recettes. D’autant plus de la présence sur l’Île de marchés publics et de nombreuses épiceries fines, toutes aussi intéressantes que les autres. Offrant des produits de terroir ou non. À titre comparatif, très rares sont les produits de terroir aux États-Unis. Entendons-nous sur du vrai terroir et non seulement une mention inventée par le marketing de tel produit. Nous y reviendrons plus loin.

Justement, les recettes abondent dans toutes sortes de médias. Myriade de blogues culinaires, émissions de télévision, livres de recettes, magazines spécialisés ou non, journaux, sites web, médias sociaux, etc. S’il n’y a pas présentement d’engouement pour la cuisine, alors pourquoi y aurait-il profusion de recettes et de textes propres au bien manger et de l’univers de l’alimentation? Bien-sûr, à la lumière de ces réflexions, force est de constater que ce bombardement médiatique a pour sûr une demande. La culture culinaire montréalaise dépasse la nécessité de se nourrir par la conscientisation de choix santé et par la mise en valeur de la cuisine à la maison. Tout cela fait place aux chefs médiatisés que l’on connaît qui sont des ambassadeurs de la gastronomie montréalaise. Ce faisant, on a beau cuisiner impeccablement et connaître les meilleures épiceries fines, l’expérience d’un bon restaurant constitue souvent la façon la plus enrichissante qui soit pour aiguiser son palais à reconnaître la fine gastronomie. Ou, encore, aiguiller son savoir-faire culinaire vers de nouveaux sommets si la fine cuisine nous passionne. Sinon, nous avons tous dans notre entourage au moins un adepte.

Il demeure intéressant de garder en perspective la culture de la bouffe à Montréal à travers le temps. L’aspect socioculturel ici placé dans le cadre historique prend davantage de sens pour saisir tout l’enjeu. Le fameux restaurant Joe Beef l’a compris. En effet, cette adresse, classée 80e meilleur restaurant au monde par le fameux Restaurant magazine, tient son nom d’un illustre restaurateur, Charles "Joe Beef" Mc Kiernan. Dans les environs du Vieux-Port, au 19e siècle, cet homme offrait le repas aux ouvriers pour une somme modeste. C’est d’ailleurs sans compter les diners qui ont à peu près disparu, ceux qu’on peut revisiter en littérature dans Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. Cependant, il est surprenant de voir ce type d’établissement réapparaître s’il en est. Le dernier magazine Caribou affiche sur sa première de couverture une photo s’y relatant. Ces liens entre le passé et le présent sont des signes indélébiles de la marque historique montréalaise sur la gastronomie.

Le corpus culinaire souvent flou de la cuisine dite canadienne est sans cesse réinventée, croisant tradition et modernité. Nous n’avons qu’à le constater avec la très gourmande recette de hot chicken (1) de Martin Juneau, chef du populaire Pastaga. Cependant, dehors la sauce brune en canne. Vivement celle faites au fond de volaille et de mirepoix. Combien sommes-nous à saliver à la seule pensée des plats de nos mères et grand-mères? Voilà des façons de revisiter nos chers classiques de jeunesse.

Pour parler de capitale, il faut bien-sûr un positionnement par rapport à l’extérieur de la ville candidate. On peut alors parler de ville cosmopolite et d’ouverture vers l’extérieur (régional, provincial, national et international). Les influences culinaires doivent pouvoir aboutir à une offre riche et diversifiée. Encore là, Montréal ce qualifie en ce sens. Les quatre coins du monde offrent leurs parfums par leurs mets tantôt plus traditionnels à leur origine, tantôt de cuisine dite fusion. Cette notoriété se transportant en dehors des limites géographiques de la ville apporte à son tour un facteur d’attraction enviable quant au tourisme.


POUVOIR FAIRE

On a beau avoir une culture développée des plaisirs gourmands, encore y faut-il de l’argent pour la matérialiser.  Disons que sans dynamisme économique, une ville ne contient pas une masse critique de gens assez aisés pour assurer un revenu suffisant et régulier aux fins restaurateurs. Le tourisme étant surtout saisonnier, ce type de clientèle ne suffit pas la plupart du temps à faire prospérer des établissements gastronomiques. Des restaurants familiaux oui. Mais dans le contexte dont il est question ici, cela concerne plutôt les adresses  haut de gamme et originales du point de vue culinaire. Ce n’est pas une condition sine qua non que d’avoir une économie forte dans la ville pour y retrouver de tels restaurants. Par contre, leur densité géographique risque de ne pas y être si l’argent se fait plus rare, compte-tenu du prix de ce type de repas en général. Ce qui nous intéresse, c’est le concept de capitale gastronomique. Donc, une ville qui rayonne même à l’étranger pour restaurants renommés. Cela peut constituer un attrait touristique. Du tourisme gourmand. Pour être plus clair, les bonnes tables de la ville candidate lui valent l’avantage d’être un moteur économique. À la base, celui-ci se trouve propulsé par la visite de ses habitants ayant l’envie et la capacité de s’offrir une telle expérience. À propos, Montréal détient des statistiques éloquentes quant à son ratio de restaurant par habitant ; environ 1 pour 450. On dit qu’en cette métropole, pour un établissement qui ouvre, un autre ferme. On parle ainsi de saturation commerciale sur le territoire. Parmi cette pléthore d’offre, il y a le meilleur comme le pire. On parle d’une marge bénéficiaire, avant impôts, de 4% en moyenne. Assez dur pour les affaires. Imaginons garder 4$ sur 100$ de vente avant impôt, c’est bien mince compte-tenu des efforts à faire pour être restaurateur.  Il va sans dire que demande il y a, sauf que comparativement à Toronto où la moyenne salariale est plus élevée que la Ville aux cent clochers, cette dernière ne se place pas en situation aussi économiquement enviable.


SAVOIR-FAIRE

Jusqu’ici, tout est bien beau, mais un point très important subsiste. Le savoir-faire. Sans les écoles et institutions qui forment les serveurs, cuisiniers, sommeliers, maîtres d’hôtel, gestionnaires, penseurs (et plus) des sphères connexes de la restauration et de la gastronomie, les niveaux de professionnalisme et d’expertise ne permettraient probablement pas les prouesses d’originalité et de qualité  que l’on retrouve en la métropole. L’ITHQ             (Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec), par exemple, nous a valu la visite du Prince William de Cambridge et de Kate Middleton lors de leur visite au Canada en juillet 2011 pour leur mariage. Ils y avaient suivi un cours de cuisine. Si ce n’est du rayonnement international que de convier la famille royale britannique dans une institution d’enseignement aussi réputée que l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec, alors qu’est-ce que ça peut être d’autre? Peut-être la fierté d’une de nos grandes forces sur le territoire, la gastronomie. Surtout en considérant l’attention médiatique couverte sur la tournée prénuptiale du couple royal. Donc, une capitale gastronomique se doit d’avoir en son sein des institutions d’enseignement de qualité collaborant dynamiquement avec le milieu commercial et intellectuel qu’il fournit en force de travail qualifiée.

Photo: ITHQ , aedifica.com



VOULOIR-FAIRE

Encore sur ce qui touche le rayonnement de la gastronomie montréalaise, il y a le vouloir-faire des différents acteurs du milieu gouvernemental, du marketing et de la communication, de l’agro-alimentaire, universitaire et plus encore. Ces derniers, travaillant parfois ensemble, unifient chacun à leur façon dans une volonté le savoir-faire, le pouvoir-faire et le savoir-être pour ainsi créer des facteurs d’attractivité propices aux échanges internationaux.

L’industrie agro-alimentaire québécoise fournissant Montréal d’un large éventail de produits permet, dans son vouloir-faire ou du moins offre, la possibilité de susciter la créativité des plats nouveaux. La diversité et la qualité des aliments, l’accessibilité grandissante des produits de l’agriculture et élevage biologiques et les produits de terroir représentent autant de facettes à exploiter culinairement. Bien que galvaudé comme terme, le vrai terroir parle de typicité du produit ayant des caractéristiques organoleptiques propres à l’endroit et la manière dont il est produit. Disons l’agneau de Charlevoix. Ces bêtes sont élevées selon un cahier de charges précis par des éleveurs qui travaillent ainsi depuis relativement longtemps. Les résultats dans la typicité de son goût et de sa qualité font la renommée de cette viande, inspirant les chefs à les mettre au menu. Les menus se trouvent influencés par des produits locaux de valeur ajoutée, condition gagnante pour une capitale gastronomique. Lyon se trouve dans la même situation, avec la poule de Bresse et les vins de Bourgogne, par exemple.

Au Québec, chaque région administre sa promotion touristique. Ainsi, Tourisme Montréal a compris il y a belle lurette que la gastronomie consiste en un facteur d’attractivité enviable. Montréal en Lumière et MTL à table sont des exemples frappants de cette volonté de se démarquer quant à ses chefs et ses restaurants. Vouloir c’est pouvoir.

Toute l’attention médiatique vient confirmer la tendance plaçant le monde culinaire sous les feux de la rampe. Effectivement, c’est par une demande et un intérêt croissant de la population dans ce domaine qu’une multitude de types de médias s’y mettent. Inutile d’énumérer encore, cela a été fait en début de texte. Seulement dans le but de renchérir le présent point, le vouloir-faire.

Universitaires et intellectuels sont aussi de mise quand on parle d’événements multidisciplinaires comme les Entretiens Jacques-Cartier où on voit autant participer dans ses colloques des professionnels du milieu de la restauration que des chercheurs. Penser la gastronomie pour mieux l’apprécier et concerter tous ses acteurs vers une réflexion sur ses enjeux.

Finalement, Montréal fait partie du Réseau Délice des villes gourmandes du monde. Le très sélect réseau place Montréal aux côtés de Turin (Italie), Lyon (France) et Barcelone (Espagne) dans le palmarès des plus grandes villes gourmandes du monde. Ils en comptent seulement 23 qui se méritent le titre. Il va sans dire que cela représente la concrétisation du vouloir-faire dont il est question.


ALORS?

Avons-nous là tout ce qu’il faut pour s’entendre que Montréal prétend au titre de capitale gastronomique? Certainement et soyons-en fiers. C’est une richesse que nous avons su développer et qui, espérons-le, saura perdurer. Chaque ingrédient a sa place dans un plat exquis comme Montréal a ses ingrédients pour sa recette gagnante.

Il y aura toujours place à l’amélioration, comme la discussion en vue d’une solution quant à la trop grande densité géographique de restaurants. Tant que les acteurs concernés se feront un devoir de poursuivre l’aventure, nous connaîtront encore sûrement de grands moments gourmands.


LE MOT DE LA FIN

Épicuriens, retrouvons-nous bientôt pour une chronique sur les cafés de troisième génération où latté art rime avec ambiance.

Amicalement,

Rémy M. Gagnon


[1] Recette de chefs, Guide pratique, magenligne.com, p.38-39

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