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Photo: MTL à table, Facebook |
Tantôt nous
pouvons être inspirés créativement dans un sens plus esthétique ou artistique,
tantôt plus dans un sens plus rationnel. Il est intéressant de constater que la
gastronomie et les arts de la table peuvent faire l’objet de pensées liées aux
arts, on a qu’à penser aux processus créatifs dont les chefs se servent pour
inventer de nouveaux plats. Ne nous arrêtons pas là. Le domaine gastronomique
recèle des sujets si variés et parfois peu étudiés, que de nouvelles facettes
se découvrent constamment. Bien-sûr, manger est besoin essentiel et
l’alimentation a un sens profond chez chaque être humain. Toute culture détient
ses façons de faire et de percevoir, a ses représentations de l’alimentation.
En cette ère de mondialisation, les barrières culturelles s’effacent
graduellement et cela permet des échanges riches entre nations. Les différentes
facettes socioculturelles, économiques, historiques et bien plus sont alors
mises en valeur.
Nous pouvons sur cette mer d’informations aborder des enjeux
de la gastronomie et ainsi élaborer de nouvelles façons de réfléchir la
gastronomie. Celle-ci ne se réduit pas qu’à l’alimentation, la préparation de
nourriture et de ce qui se trouve dans ces eaux là. En effet, la beauté de la
gastronomie réside dans le fait qu’elle implique une multitude de disciplines,
portant autant sur des réflexions artistiques que rationnelles. Voyons ce que
peut être un tel enjeu.
De prime abord,
qu’est-ce que ce grand titre? Montréal,
capitale gastronomique. Est-il pompeux en quelque sorte ou encore est-il
riche de sens? Une multitude de questions se posent à première impression
devant pareil titre édifiant la Ville aux cent clochers. Il s’agit d’autant de
questions qu’il vaut la peine d’approfondir. Sur ce, basons-nous sur le livre
Voyages en gastronomies : L’invention des capitales et des régions
gourmandes, collectif de textes dirigé par Julia Csergo et Jean-Pierre
Lemasson. Cela dit, il s’agit d’un excellent livre des plus intéressants pour
en apprendre sur différents sujets historiques et socioculturels de la
gastronomie. Il a été rédigé en collaboration par des chercheurs de renommée
internationale, étant le fruit de recherches captivantes.
En quoi
constitue une capitale gastronomique?
Soyons souples
ici. Contentons-nous de brosser sommairement et approximativement le portrait
d’une définition somme toute satisfaisante. Une capitale gastronomique consiste
en une ville renommée touristiquement pour ses bonnes tables passant par de
bons produits. Pouvant être issues du terroir, ces tables sont composées par
des travailleurs chevronnés des métiers de bouche, le tout dans une culture de
la bonne chère est généralement partagée par ses habitants. Tout cela, dans son
renom, doit rayonner à l’étranger pour permettre une notoriété à la ville en
question. Probablement la ville la plus connue de toutes à ce titre est Lyon. Ville
des célèbres bouchons, héritage de la cuisine des Mères, et de Paul Bocuse,
lui-même ayant été apprenti de la Mère Brazier (première triple étoilée au
guide Michelin en 1933). Lyon en France est sans doute l’emblème de cette
notion. Elle est inscrite au patrimoine culturel de L’UNESCO pour sa
gastronomie.
D’autre part, voyons
plus en détail comment Montréal se qualifie dans sa place de capitale
gastronomique. Ce texte n’a pas la prétention d’être exhaustif en la matière.
Quitte à être un peu anecdotique dans les faits. Il s’agit ici d’humblement
tracer les grandes lignes du tableau afin d’arriver à mieux comprendre le
présent enjeu.
SAVOIR-ÊTRE
C’est simple.
Pour retrouver une prétendante au titre de capitale gourmande, encore faut-il
que dans celle-ci l’intérêt pour la gastronomie existe. À la base, une culture
alimentaire riche et propice doit animer le tissu social. On n’implante
certainement pas un restaurant faisant de la haute voltige culinaire en plein
désert alimentaire. C’est plus que de l’avant-garde, c’est du suicide
commercial. L’intensité de l’intérêt en la matière au niveau socioculturel signifie
un point de départ capital. Plusieurs façons de reconnaître cela s’offre à
nous.
La volonté et la
possibilité de bien manger peut constituer un indice de premier ordre.
Regardons Montréal sous cet angle. En habitant l’Île ou en interrogeant ses
habitants, on se rend compte à quel point les gens sont de plus en plus
soucieux de leur alimentation et désireux de faire des expérimentations
culinaires. La plupart des épiceries rendent cela possible grâce à leur offre
de fruits et légumes, de produits sains, frais et dans une diversité permettant
de cuisiner des recettes. D’autant plus de la présence sur l’Île de marchés
publics et de nombreuses épiceries fines, toutes aussi intéressantes que les
autres. Offrant des produits de terroir ou non. À titre comparatif, très rares
sont les produits de terroir aux États-Unis. Entendons-nous sur du vrai terroir
et non seulement une mention inventée par le marketing de tel produit. Nous y
reviendrons plus loin.
Justement, les
recettes abondent dans toutes sortes de médias. Myriade de blogues culinaires,
émissions de télévision, livres de recettes, magazines spécialisés ou non,
journaux, sites web, médias sociaux, etc. S’il n’y a pas présentement
d’engouement pour la cuisine, alors pourquoi y aurait-il profusion de recettes
et de textes propres au bien manger et de l’univers de l’alimentation?
Bien-sûr, à la lumière de ces réflexions, force est de constater que ce
bombardement médiatique a pour sûr une demande. La culture culinaire
montréalaise dépasse la nécessité de se nourrir par la conscientisation de
choix santé et par la mise en valeur de la cuisine à la maison. Tout cela fait
place aux chefs médiatisés que l’on connaît qui sont des ambassadeurs de la
gastronomie montréalaise. Ce faisant, on a beau cuisiner impeccablement et
connaître les meilleures épiceries fines, l’expérience d’un bon restaurant constitue
souvent la façon la plus enrichissante qui soit pour aiguiser son palais à
reconnaître la fine gastronomie. Ou, encore, aiguiller son savoir-faire
culinaire vers de nouveaux sommets si la fine cuisine nous passionne. Sinon,
nous avons tous dans notre entourage au moins un adepte.
Il demeure
intéressant de garder en perspective la culture de la bouffe à Montréal à
travers le temps. L’aspect socioculturel ici placé dans le cadre historique
prend davantage de sens pour saisir tout l’enjeu. Le fameux restaurant Joe Beef
l’a compris. En effet, cette adresse, classée 80e meilleur
restaurant au monde par le fameux Restaurant
magazine, tient son nom d’un illustre restaurateur, Charles "Joe
Beef" Mc Kiernan. Dans les environs du Vieux-Port, au 19e
siècle, cet homme offrait le repas aux ouvriers pour une somme modeste. C’est
d’ailleurs sans compter les diners qui
ont à peu près disparu, ceux qu’on peut revisiter en littérature dans Bonheur
d’occasion de Gabrielle Roy. Cependant, il est surprenant de voir ce type
d’établissement réapparaître s’il en est. Le dernier magazine Caribou affiche sur sa première
de couverture une photo s’y relatant. Ces liens entre le passé et le présent
sont des signes indélébiles de la marque historique montréalaise sur la
gastronomie.
Le corpus culinaire souvent flou de la cuisine dite canadienne est
sans cesse réinventée, croisant tradition et modernité. Nous n’avons qu’à le
constater avec la très gourmande recette de hot
chicken (1) de Martin Juneau, chef du populaire Pastaga. Cependant, dehors la sauce
brune en canne. Vivement celle faites au fond de volaille et de mirepoix. Combien
sommes-nous à saliver à la seule pensée des plats de nos mères et grand-mères?
Voilà des façons de revisiter nos chers classiques de jeunesse.
Pour parler de
capitale, il faut bien-sûr un positionnement par rapport à l’extérieur de la
ville candidate. On peut alors parler de ville cosmopolite et d’ouverture vers
l’extérieur (régional, provincial, national et international). Les influences
culinaires doivent pouvoir aboutir à une offre riche et diversifiée. Encore là,
Montréal ce qualifie en ce sens. Les quatre coins du monde offrent leurs
parfums par leurs mets tantôt plus traditionnels à leur origine, tantôt de
cuisine dite fusion. Cette notoriété se transportant en dehors des limites géographiques
de la ville apporte à son tour un facteur d’attraction enviable quant au
tourisme.
POUVOIR FAIRE
On a beau avoir
une culture développée des plaisirs gourmands, encore y faut-il de l’argent
pour la matérialiser. Disons que sans
dynamisme économique, une ville ne contient pas une masse critique de gens
assez aisés pour assurer un revenu suffisant et régulier aux fins
restaurateurs. Le tourisme étant surtout saisonnier, ce type de clientèle ne
suffit pas la plupart du temps à faire prospérer des établissements
gastronomiques. Des restaurants familiaux oui. Mais dans le contexte dont il
est question ici, cela concerne plutôt les adresses haut de gamme et originales du point de vue
culinaire. Ce n’est pas une condition sine
qua non que d’avoir une économie forte dans la ville pour y retrouver de
tels restaurants. Par contre, leur densité géographique risque de ne pas y être
si l’argent se fait plus rare, compte-tenu du prix de ce type de repas en
général. Ce qui nous intéresse, c’est le concept de capitale gastronomique.
Donc, une ville qui rayonne même à l’étranger pour restaurants renommés. Cela
peut constituer un attrait touristique. Du tourisme gourmand. Pour être plus
clair, les bonnes tables de la ville candidate lui valent l’avantage d’être un
moteur économique. À la base, celui-ci se trouve propulsé par la visite de ses
habitants ayant l’envie et la capacité de s’offrir une telle expérience. À
propos, Montréal détient des statistiques éloquentes quant à son ratio de
restaurant par habitant ; environ 1 pour 450. On dit qu’en cette
métropole, pour un établissement qui ouvre, un autre ferme. On parle ainsi de
saturation commerciale sur le territoire. Parmi cette pléthore d’offre, il y a
le meilleur comme le pire. On parle d’une marge bénéficiaire, avant impôts, de
4% en moyenne. Assez dur pour les affaires. Imaginons garder 4$ sur 100$ de
vente avant impôt, c’est bien mince compte-tenu des efforts à faire pour être
restaurateur. Il va sans dire que
demande il y a, sauf que comparativement à Toronto où la moyenne salariale est
plus élevée que la Ville aux cent clochers, cette dernière ne se place pas en
situation aussi économiquement enviable.
SAVOIR-FAIRE
Jusqu’ici, tout
est bien beau, mais un point très important subsiste. Le savoir-faire. Sans les
écoles et institutions qui forment les serveurs, cuisiniers, sommeliers,
maîtres d’hôtel, gestionnaires, penseurs (et plus) des sphères connexes de la
restauration et de la gastronomie, les niveaux de professionnalisme et
d’expertise ne permettraient probablement pas les prouesses d’originalité et de
qualité que l’on retrouve en la
métropole. L’ITHQ (Institut
de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec), par exemple, nous a valu la visite du
Prince William de Cambridge et de Kate Middleton lors de leur visite au Canada
en juillet 2011 pour leur mariage. Ils y avaient suivi un cours de cuisine. Si
ce n’est du rayonnement international que de convier la famille royale
britannique dans une institution d’enseignement aussi réputée que l’Institut de
Tourisme et d’Hôtellerie du Québec, alors qu’est-ce que ça peut être d’autre?
Peut-être la fierté d’une de nos grandes forces sur le territoire, la
gastronomie. Surtout en considérant l’attention médiatique couverte sur la
tournée prénuptiale du couple royal. Donc, une capitale gastronomique se doit
d’avoir en son sein des institutions d’enseignement de qualité collaborant
dynamiquement avec le milieu commercial et intellectuel qu’il fournit en force
de travail qualifiée.
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Photo: ITHQ , aedifica.com
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VOULOIR-FAIRE
Encore sur ce
qui touche le rayonnement de la gastronomie montréalaise, il y a le
vouloir-faire des différents acteurs du milieu gouvernemental, du marketing et
de la communication, de l’agro-alimentaire, universitaire et plus encore. Ces
derniers, travaillant parfois ensemble, unifient chacun à leur façon dans une
volonté le savoir-faire, le pouvoir-faire et le savoir-être pour ainsi créer
des facteurs d’attractivité propices aux échanges internationaux.
L’industrie
agro-alimentaire québécoise fournissant Montréal d’un large éventail de
produits permet, dans son vouloir-faire ou du moins offre, la possibilité de
susciter la créativité des plats nouveaux. La diversité et la qualité des
aliments, l’accessibilité grandissante des produits de l’agriculture et élevage
biologiques et les produits de terroir représentent autant de facettes à
exploiter culinairement. Bien que galvaudé comme terme, le vrai terroir parle
de typicité du produit ayant des caractéristiques organoleptiques propres à l’endroit
et la manière dont il est produit. Disons l’agneau de Charlevoix. Ces bêtes sont
élevées selon un cahier de charges précis par des éleveurs qui travaillent
ainsi depuis relativement longtemps. Les résultats dans la typicité de son goût
et de sa qualité font la renommée de cette viande, inspirant les chefs à les
mettre au menu. Les menus se trouvent influencés par des produits locaux de
valeur ajoutée, condition gagnante pour une capitale gastronomique. Lyon se
trouve dans la même situation, avec la poule de Bresse et les vins de Bourgogne,
par exemple.
Au Québec,
chaque région administre sa promotion touristique. Ainsi, Tourisme Montréal a
compris il y a belle lurette que la gastronomie consiste en un facteur
d’attractivité enviable. Montréal
en Lumière et MTL à
table sont des exemples frappants de cette volonté de se démarquer quant à
ses chefs et ses restaurants. Vouloir c’est pouvoir.
Toute
l’attention médiatique vient confirmer la tendance plaçant le monde culinaire
sous les feux de la rampe. Effectivement, c’est par une demande et un intérêt
croissant de la population dans ce domaine qu’une multitude de types de médias
s’y mettent. Inutile d’énumérer encore, cela a été fait en début de texte.
Seulement dans le but de renchérir le présent point, le vouloir-faire.
Universitaires
et intellectuels sont aussi de mise quand on parle d’événements
multidisciplinaires comme les Entretiens
Jacques-Cartier où on voit autant participer dans ses colloques des
professionnels du milieu de la restauration que des chercheurs. Penser la
gastronomie pour mieux l’apprécier et concerter tous ses acteurs vers une
réflexion sur ses enjeux.
Finalement,
Montréal fait partie du Réseau Délice
des villes gourmandes du monde. Le très sélect réseau place Montréal aux côtés
de Turin (Italie), Lyon (France) et Barcelone (Espagne) dans le palmarès des
plus grandes villes gourmandes du monde. Ils en comptent seulement 23 qui se
méritent le titre. Il va sans dire que cela représente la concrétisation du
vouloir-faire dont il est question.
ALORS?
Avons-nous là
tout ce qu’il faut pour s’entendre que Montréal prétend au titre de capitale
gastronomique? Certainement et soyons-en fiers. C’est une richesse que nous
avons su développer et qui, espérons-le, saura perdurer. Chaque ingrédient a sa
place dans un plat exquis comme Montréal a ses ingrédients pour sa recette
gagnante.
Il y aura
toujours place à l’amélioration, comme la discussion en vue d’une solution
quant à la trop grande densité géographique de restaurants. Tant que les
acteurs concernés se feront un devoir de poursuivre l’aventure, nous
connaîtront encore sûrement de grands moments gourmands.
LE MOT DE LA FIN
Épicuriens,
retrouvons-nous bientôt pour une chronique sur les cafés de troisième
génération où latté art rime avec
ambiance.
Amicalement,
Rémy M. Gagnon